Shooting in the middle of the night: Supermassive & Glitter (PV)

Je ne venais jamais, ou alors très rarement, dans le Southern District. Il n’y avait pas grand-chose qui m’y intéressait puisqu’il s’agissait d’un coin particulièrement pauvre de Bay Pleasant dans lequel le fils de bonne famille que j’étais n’avait absolument aucune envie d’aller. En tout et pour tout, en 13 ans plus quelques mois de ma vie à Bay Pleasant j’avais dû y aller quelques trois petites fois et toujours avec réticence et non sans crainte, il est vrai. En réalité, j’y étais allé au total quatre fois puisque je m’y trouvais à cet instant précis, alors qu’il était onze heures du soir passées ; je n’étais cependant pas seul, mais accompagné d’un bel étrange photographe, Lancelot Radcliffe.

Citation :

Quelques heures plus tôt, appartement d’Archie Lowe, Sterling Housing.

« Allez, Archie, viens ! J’ai vraiment envie de faire ce shoot ! Allez !
-Non ! J’ai dis : NON ! Tu n’es pas un peu fou ? Aller faire une séance photo dans les quartiers sud à cette heure-ci de la nuit ? C’est même plus de l’inconscience, c’est de la folie, je te le dis moi.
-Mais non, t’inquiète… On ne court aucun risque voyons.
-Non. »
Je me levai de mon canapé et courais m’enfermer dans la salle de bains de mon appartement afin de me réfugier à l’abri de l’insistance de Lance qui, lorsqu’il avait quelque chose en tête, ne se laissait pas démonter par un simple non.
« Laisse-moi donc prendre une douche tranquillement, lançai-je en me déshabillant pour entrer dans la cabine de douche dont je refermai la porte derrière moi.
J’actionnai l’eau et commençai ma toilette méticuleuse lorsque, au bout de quelques minutes, j’entendis la porte grincer ; Lance était donc en train de poursuivre son opération « convaincre le soldat Archie d’aller poser au milieu des quartiers chauds ». Je souris intérieurement en pensant aux efforts qu’il déployait puis je l’entendis frapper doucement à la porte de la cabine.
« S’il te plait Archie… Pour moi. »
J’ouvris la porte et passait la tête par l’ouverture ainsi créée, puis répondis avec un sourire malicieux :
« Alors tu m’embrasses. »

Visiblement, Lance m’avait embrassé puisque nous nous retrouvions au milieu de nulle part, moi vêtu d’un costume hors de prix, assis sur l’un des innombrables bidons d’essence qui se trouvaient dans cet immonde terrain vague à côté de la Newport Plaza. J’étais surpris de voir que Lance avait eu raison : il n’y avait pas grand monde à cette heure-ci de la nuit à proximité du parc. Quelques jeunes étaient passés à côté de nous à plusieurs reprises mais sans jamais manifester d’intentions belliqueuses à notre égard. Il passait encore plus rarement des véhicules qui éclairaient alors la zone des lumières aveuglantes de leurs phares, nous obligeant alors à nous arrêter en plein milieu de la séance. Lance semblait satisfait de l’avancement des prises, et sa satisfaction faisait plaisir à voir. J’étais heureux lorsqu’il ne se dévalorisait pas et lorsqu’il était content de lui.
Je commençais à souffrir un peu de la chaleur de cette nuit de juillet, tout emmitouflé que j’étais dans ce costume qui faisait monter la température de tout mon corps ; je me sentais mou, un peu à plat, comme si Lance et son appareil photo m’avaient privé de mon énergie vitale. Cette sensation était toujours en moi lorsque nous faisions ces séances (en tout cas, je l’avais à la fin des shoots), mais elle était amplifiée par la chaleur et la torpeur des nuits estivales de Bay Pleasant. En m’éventant avec ma main, je demandai alors à Lance :

« Tu ne me tueras pas si je te demande une petite pause ? »

Citation :

Quelques heures plus tôt, appartement d’Archie Lowe, Sterling Housing.
« Il reste un peu de place dans cette douche pour moi tu crois ? »
Je ne dis rien, me contentant de prétendre hésiter. Je regardais dans la cabine de douche, comme si je n’étais pas tout à fait sûr qu’il y restât de la place, mais Lance ne me laissa pas le temps de répondre et s’engouffra par l’ouverture. Ses lèvres se collèrent contre les miennes, enfermant toute velléité de plaisanterie par leur sceau humide et amoureux. Je lui rendis ses baisers tandis que mes se posèrent contre sa nuque, ses joues, son torse… Je n’avais plus envie de sortir de cette cabine de douche, au diable la séance… Nous aurions toujours pu aller la faire le lendemain… J’actionnai l’eau en murmurant :
« Chaud ou froid ? »

Liberté. Force. Douleur. C’étaient les termes que j’avais un jour choisis pour décrire des clichés de Lance. C’était ce que j’avais ressenti en regardant son « travail », bien que je ne pense pas que ce mot soit approprié pour parler de ce qu’il faisait. Cette liberté, c’était celle qu’il donnait à tous ses modèles et qui se ressentait à travers le résultat fini ; c’était aussi celle qui caractérisait la vision de Lance sur le monde : tout pouvait être utilisé, peu importait la fonction initiale d’un objet, seul comptait le résultat. La force était celle de l’assemblage ultra-mathématique, cadré au maximum, de la rigidité incorruptible des ses compositions. Et la douleur… C’était mon invention, ma déduction ; en ajoutant ce que je savais de mon amant et ce que me donnaient comme indices ses clichés je parvenais peu à peu à dresser les contours de plus en plus subtils de sa belle personnalité et lorsque je regardais l’une des photographies de Lance, je voyais en transparence apparaitre quelques fragments de lui-même comme si, lors du développement, un étrange phénomène s’était opéré sur les clichés, faisant passer quelques morceaux de Lance sur ses photographies. Et plus le temps passait, plus j’aimais ce que je découvrais, et je ne souhaitais rien d’autre que poursuivre ma quête. Lancelot Radcliffe était devenu mon Saint Graal, mon Eldorado et je ne pouvais plus espérer de repos avant de l’avoir entièrement déshabillé, et dans le sens le plus pur, le plus biblique du terme. Mon seul et unique désir était de connaitre le Lance qui se cachait derrière le voile, voile qui avait déjà commencé à se soulever ces derniers mois mais dont je sentais toujours la présence autour de nous.
Lance m’apporta une bouteille d’eau et, alors que j’y buvais avec soif, il m’aida à me rafraichir en me déshabillant. Je dois bien reconnaitre que s’il y avait une chose en laquelle Lance excellait, outre la photographie, c’était à faire tomber mes vêtements. Je le laissais faire, me contentant de fixer son visage tout en ingurgitant l’eau comme si ma vie en dépendait. Le simple bonheur d’être en contact avec lui, de voir son visage, ses yeux, de sentir ses mains m’auraient permis de me passer d’eau encore pour les quinze prochaines années mais n’étant pas sûr que cela était scientifiquement viable, je ne pouvais me permettre de prendre le risque de mourir de soif.

« Oh, je ne suis pas pressé, ne t’inquiète pas. Prends tout ton temps. Et puis j’espère que tu voudras bien rester à la maison ce soir. Je n’ai pas envie de dormir tout seul et j’ai perdu mon nounours… »

Et surtout, j’avais envie que Lance me serre dans ses bras, comme tout le temps depuis que je l’avais rencontré. Cette envie ne me quittait jamais depuis lors, et je chérissais les moments que nous passions ensemble, même lorsque nous étions éloignés par l’objectif d’un appareil photo ou par une porte de douche ; je vivais ces instants avec une intensité que même moi, qui vivait tout avec force, j’avais jusqu’alors peu expérimentée. D’ailleurs, lorsque Lance me remercia, je ne pus m’empêcher de sourire ; ce qu’il percevait comme un effort de ma part n’en était pas vraiment un, il s’agissait plus d’un besoin et surtout d’un plaisir. Je ne dis rien mais déposai à mon tour un baiser furtif sur le coin de ses lèvres, puis un autre, plus long, plus tendre aussi.

« OK, allons-y, je suis prêt »

Je me levai afin de retourner à la séance et se faisant, je pris la main de Lance et l’entrainai contre moi.

« Tu es sûr que tu veux que je remette cette veste et cette cravate ? Après tout, le contraste peut aussi être frappant… sans rien… »