DAISY DAISY DAISY ||

UN SOIR DE JUILLET. 20h43 Le sonnerie du téléphone retentit dans le salon faisant sursauter toute la famille. Tous savaient ce que cela signifiait; il ne reviendrait jamais. Le film se terminait ainsi. Daisy resta dubitative devant la fin. Elle laissa le générique défiler pendant qu’elle partit à la recherche d’une valeur sûre, un DVD pouvant laver l’affreux goût que ce film avait laissé sur son palais. Une fois son choix fait, elle se rassit sur son canapé, prête à être propulsée dans un univers qui lui était si familier.
Un coffee shop situé dans le Greenwich Village. L’ingénieure aéronautique était assise à une petite table près de la porte d’entrée contemplant le café que la serveuse venait de lui servir. Trop chaud. Elle décida de le laisser refroidir avant de le boire. A quelques mètres d’elle, quatre amis étaient assis sur et autour d’un vieux canapé en velours. Un canapé orange. Une jeune femme aux cheveux noirs, vêtue d’une veste jaune, prit la parole. De sa place, Daisy n’aurait pas pu entendre ce qui disait ; or elle pouvait anticiper chacune de leurs paroles.
« Y a rien à dire ! » dit-elle. « C'est un type du boulot. »
« Allez ! Tu sors avec ce type » renchérit son ami, assis à califourchon sur une chaise, « Il doit bien avoir un défaut. »
Un autre participant, celui-ci assis sur l’accoudoir du canapé, tenta de réprimander le jeune homme – Joey - mais céda vite à sa propre curiosité. « Il a une bosse ? Une moumoute ? »
La conversation fut interrompue par la sonnerie d’un téléphone portable. Pas n’importe lequel. Celui de Daisy - Daisy qui, soit dit en passant, semblait être la seule à pouvoir l’entendre. Elle décrocha.
- Allô ?
- Daisy, c’est toi ?
- Maman ?
- Oui.
- Tu veux me parler ?
- Non. J’ai du faire une erreur en composant. J’espère que je ne dérange pas au moins.
- Non. Non, je regarde un DVD.
- Bien. D’accord. Je vais te laisser alors. Au revoir.
24 secondes. Le record du plus long entretien entre Daisy et sa mère. Les deux femmes n’étaient pas habituées à se parler. Aucune ne vit le besoin de corriger la situation ; après tout, les choses étaient très bien ainsi. Une femme, habillée en robe de mariée, manqua de bousculer Daisy. Son entrée ne passa pas inaperçue. Les clients du café la dévisageaient avec amusement. Était-ce un numéro pour une caméra cachée ? Elle se présenta, trempée de la tête aux pieds, au comptoir de la buvette visiblement confuse et à bout de souffle. La jeune femme à la veste jaune s’approcha d’elle.
- Rachel ?
- Mon Dieu, Monica ! Dieu soit loué ! T'étais pas chez toi. Un type avec un gros marteau m'a dit de venir ici. Et tu es là !
Monica la conduisit vers le canapé « Les amis, voici Rachel, une rescapée de Lincoln High. Voici Chandler, Phoebe, Joey. Et tu connais mon frère, Ross ? »
- Bien sûr.
Ross et Rachel se rapprochèrent ; l’ouverture d’un parapluie; STOP ; EJECT. Ça sera tout pour ce soir. Cette première scène aura suffi pour lui redonner le sourire. La suite de l’épisode, elle pouvait se la réciter mentalement puisque comme tous les grands fans de Friends, elle connaissait le pilot sur le bout de ses doigts. Enveloppée dans sa couverture, Daisy pouvait enfin s’endormir, bercée par les rires et les claquements de verres provenant de l’appartement d’en face.

25 DÉCEMBRE. 13h59 La dinde avait cramé dans le four; on sentait l'odeur de roussi dans toute la maison. Rendue muette par la situation, Daisy regretta d’avoir pris la décision de cuisiner pour Noël puisqu’il était évident qu’elle ne pouvait pas se concentrer sur une telle tâche lorsque son ordinateur était allumé et connecté à internet. A seulement 32 ans, elle avait déjà tué des Fel Orcs, défié les forces de l’Empire aux côtés de Luke Skywalker, libéré simultanément Berlin et la Normandie, et sauvé la Princesse Peach. Malgré cela, passer 5 minutes loin de son PC portable relevait de l’impossible.

Citation :

DrakeKenobi : BUFF MOI !
Popo2450 : Freya, qu’est-ce que tu fous ?!

Il fallait faire un choix. Laissant lâchement la dinde refroidir dans le lavabo, marinant dans 5 cm d’eau froide, Daisy fit les quelques pas qui la séparent du bureau. Sans prendre la peine de s’asseoir, elle se jeta sur son clavier, enfila son casque et entreprit de répondre le plus rapidement possible à ses amis joueurs.

Citation :

Freya of Dresdn : J’étais dans la cuisine.
DrakeBauer07 : Buff moi s’il-te-plait !! Je vais mourir.
Popo2450 : On n’attendait que toi pour entrer dans le donjon.
Freya of Dresdn : Ça fera 5000 pièces.
DrakeBauer07 : Abusé ! Je n’ai pas besoin de te payer. On est dans la même guilde !
Freya of Dresdn : Le sort me coute une Fire Gem. Ils ne sont pas faciles à trouver.
Freya of Dresdn : Où est Salima ?
Popo2450 : Elle est afk. Elle revient dans une heure.
DrakeBauer07 : Freya, regarde dans ta boite mail. J’ai envoyé l’argent.
DrakeBauer07 : Elle est partie faire quoi Quake ?
Popo2450 : Noël avec sa famille.
DrakeBauer07 : … C’est aujourd’hui ?
Popo2450 : LOL Quel noob.
Popo2450 : Au fait, joyeux Noël.
DrakeBauer07 : Joyeux Noël.

Une personne normale aurait trouvé triste le fait de passer Noël sur internet, en compagnie de trentenaires chômeurs et d’adolescents n’ayant manifestement rien d’autre à faire que de se plonger dans un monde peuplé d’ogres et de dragons ; mais pour Daisy, c’était ce qui ressemblait le plus à une famille. Pourtant elle en avait déjà une, de famille. Une vraie. En chair et en os. Vivant à un quart d’heure à peine de chez elle.
Elle ne vit pas l’intérêt de se déplacer et eut parfaitement raison de penser ainsi. Ses parents avaient déjà pris la peine de lui envoyer – et ce, avec deux jours d’avance - son cadeau (un foulard) accompagné d’une carte de vœux l’informant de leur départ pour une croisière autour du monde. ‘Freya’ resta incrédule. Elle avait appris, avec le temps, à lire à travers leurs mensonges. La version traduite de leur carte de vœux se lisait ainsi : « Nous serons chez ton frère et sa famille. »
Ce 25 Décembre, Daisy le voulait différent. Elle n’avait rien contre les sandwichs au beurre de cacahouètes mais il fallait bien se rendre à l’évidence qu’ils ne valaient en rien une bonne dinde de Noël. Bien sûr, il était impossible pour une personne de s’attaquer seule – et encore moins manger - une aussi grosse volaille ; si elle avait décidé de cuisiner, c’était avant tout pour faire plaisir à Arthur, son voisin. Il était rentré tard, comme d’habitude, aux alentours de 6h. Ça, elle pouvait en certifier. Elle avait guetté son retour à travers son judas.
La dinde ne pouvait plus être sauvée, l’eau froide l’ayant transformée en éponge. Mais il en fallait plus pour décourager la jeune femme. Elle se souvint que plusieurs plateaux repas dormaient dans son réfrigérateur. Bingo !
Aussi rapide qu’Anakin Skywalker sur un speederbike, elle put, en une demi-heure, déposé à la porte de son voisin un repas chaud et une figurine collector Star Wars, en espérant que Jango Fett l’aidera à surmonter sa gueule de bois.

SITUATION 1 Racontez la première rencontre de votre personnage avec quelqu'un qui l'a marqué.

Troisième jour à SciCon, la convention annuelle des films, séries, romans et bandes-dessinées consacrés à la science-fiction. Daisy comptait profiter pleinement de sa journée. Elle quitta sa chambre d’hôtel à 10h, le ventre vide, la tête déjà pleine de nuages. La conférence sur les effets spéciaux du nouveau projet LucasFilm se tenait ce jour-là et la faisait trépigner d’impatience. Elle avait tout prévu ; appareil photo, livres à faire dédicacer et un sandwich pour midi. Tout son argent était passé dans ce séjour en Californie et son salaire d’ingénieure ne lui permettait pas de se livrer à trop de folies. Elle se convainquit qu’un sandwich pourrait lui offrir une liberté de mouvements ainsi que lui garantir plus de temps pour pouvoir tout voir.
Il y avait beaucoup de choses à voir, beaucoup de personnes à rencontrer, les unes plus excentriques que les autres. SciCon se voulait un peu plus sérieuse que ses consœurs mais cela n’empêcha pas l’arrivée de fans costumés. Daisy n’avait jamais prétendu son appartenance à ce groupe ; elle était bien trop pudique pour enfiler le bikini de la Princesse Leia. Elle préférait se mettre à l’aise dans un t-shirt, un jean, sans se coiffer, sans se maquiller. Il fallait être fou pour venir y chercher une personne avec qui rentrer.
L’ascenseur mit du temps à arriver. Le début de la conférence était fixé à 10h45 et la jeune femme souhaitait arriver en avance afin de pouvoir choisir une bonne place dans l’amphithéâtre. Un coup d’œil à sa montre confirma sa crainte de finir assise par terre ; elle emprunta les escaliers. Étroits, silencieux, et éclairés au néon, ils ne firent rien pour calmer l’angoisse de Daisy dont le cœur fut prêt à lâcher lorsqu’elle vit sa destination : la porte de sortie. Tant pis. Elle se rassura en de se disant qu’il y avait certainement une entrée pas loin qui pourrait la conduire vers la salle de conférence. L’arrivée d’un grand 4x4 noir l’interrompit dans son élan. Des gardes-du-corps la bousculèrent, la tenant à l’écart du passager de la voiture. Daisy avait essayé de se défaire de leur étreinte mais abandonna lorsqu’elle se rendit à l’évidence ; ils étaient bien trop grands et bien trop costauds pour céder aux coups infligés par son sac-à-dos.
Elle aperçut, par-dessus l’épaule d’un des gorilles, un homme (légèrement enrobé) sortir de la voiture. Il avait une chevelure et une barbe argentée, et une paire de RayBan Aviator sur le nez ; cela suffisait amplement à n’importe quel fan pour le reconnaitre. George Lucas. L’homme que Daisy vénère depuis son adolescence. Impossible pour elle de trouver ses mots. Elle se contenta de sourire, de sourire béatement. Et quand il passa devant elle, il lui adressa ce qui aurait bien pu être un clin d’œil. Elle en était sûre ; maintenant, Daisy Clarke pouvait mourir heureuse.

- Vous faites quoi dans la vie?
- Pardon ?
- Vous faites quoi dans la vie ?
- Hein ?
- Laissez tomber. Je vais… Je vais faire un tour.

« Ça m’apprendra de laisser Jessie me convaincre. » Daisy n’aimait pas les grandes fêtes où elle ne connaissait jamais personne et où la musique était bien trop forte pour pouvoir tenir une conversation. Il n’était même pas 1h du matin et elle pensait déjà à toutes les émissions qu’elle venait de rater. Enfin non, elle ne les avait pas ratées ; elle comptait les voir en rentrant grâce à son système TiVo (un enregistreur de programmes télévisés sur disque dur). Tout n’était pas perdu même si cela lui faisait perdre du temps sur son strict régime de jeux-vidéos.
Daisy était assise sur un canapé, tassée contre l’accoudoir par un couple qui ne montrait aucune gêne à exhiber leur affection au reste de la planète. La présence de l’ingénieure ne les décourageait pas. Au contraire. L’homme – s’il s’agissait bien d’un homme – s’était montré encore plus entreprenant, à tel point que sa langue pouvait être vue par toutes les personnes se trouvant dans un rayon de 2 kilomètres. Lorsque celle-ci n’était pas occupée à poignarder la glotte de la partenaire – touchant occasionnellement ses cordes vocales et en composant avec, une petite mélodie -, elle s’attardait sur le visage de la jeune femme comme un pinceau sur une toile. Ce spectacle éveilla en Daisy le souvenir de son dîner (et de son déjeuner) ; l’atterrissage d’une culotte sur ses genoux la força à changer de siège.
« Je m’asseoir ici? » Elle leva les yeux vers son interlocuteur. Un homme, à peu près du même âge qu’elle, se tenait devant elle, un verre à la main et un sourire amical à offrir.

- Oui allez y.
- Ce n’est pas votre genre de soirées.
- Non. Non, pas vraiment. C’est affreux, je sais. Mon amie ne cesse de me dire que je ne sais pas m’amuser.
- Elle a tort. Je trouve ça, rafraichissant.

« Rafraichissant ? Vraiment? » répéta la jeune femme. Elle semblait ravie d’avoir trouvé quelqu’un avec qui parler. « Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis heureuse de vous entendre dire ça. Normalement… Normalement, je suis déjà au lit, sur mon ordinateur en train de jouer à l’ordinateur. Vous connaissez les MMORPG ? Les jeux en ligne massivement multi-joueurs. Je suis inscrite sur 4 d’entre eux ; World of Warcraft, deux sur l’univers Star Wars et un dernier qui est d’origine coréenne. C’est marrant mais ça prend beaucoup du temps. Pour monter tous les personnages aux bons niveaux et assister à tous les évènements organisés par mes guildes. En parlant de Star Wars… Cet endroit fait penser à la cantina de Mos Eisley, vous ne trouvez pas ? Lorsque Luke arrive avec Ben Kenobi. » L’homme resta silencieux, le regard au sol, le sourire forcé. « J’en ai trop dit? » demanda Daisy, incrédule. Il se contenta d’acquiescer.

- Vous voulez partir, c’est ça?
- Ouais.
- Mais vous ne savez pas comment vous y prendre.
- Ouais.
- J’aurais du me taire en fait.
- Ouais. Je --- Je vais y aller.
- Très bien. Bonne nuit. Que la Force soit avec vous!